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Claude MICHEL, 13ème Forum de la CFHTB, Bordeaux, 15-18 mai 2024

 LA PENSEE MAGIQUE DANS LES TOC

TYPOLOGIE DES  RITUELS MAGIQUES

L’obsession est une pensée anxiogène surgissant dans l’esprit du patient,  évoquant une possibilité de faire mal ou du mal à ses proches, et ce, par inadvertance, en posant un acte gênant pour eux pouvant entrainer des malheurs (accidents, maladies, sinistres ou divers drames psychologiques); le patient obsessionnel ne commet jamais le mal volontairement mais ressent une impuissance à contrôler ses actes et craint que le mal lui échappe.

Les patients obsessionnels recourent fréquemment à des rituels pour lutter contre leurs hantises. Les rituels plus fréquents sont les rituels de vérification, les rituels de lavage /décontamination, les rituels d’ordonnancement.

Intéressons nous à ces derniers dans lesquels la dimension magique est patente. Le patient ordonnateur s’acharne à poser des actes qui créent un bon et parfait ordonnancement dans l’espace, le temps et le déroulement des séquences de vie. Pourquoi fait-il cela? Parce que selon lui un bon ordre réalisé au présent garantit magiquement que tout se passera bien à l’avenir pour ses proches. L’obsessionnel est dans la croyance magique qu’en effectuant ces rituels, il évitera des malheurs à autrui et que, s’il ne fait rien, il les laissera advenir ou même les provoquera. Son mode opératoire n’est pas l’action directe mais l’action magique. La magie c’est l’art d’obtenir des effets bien réels échappant aux contraintes classiques de l’espace/temps/causalité par la seule croyance de pouvoir les obtenir par des paroles ou par des rituels avec l’aide de forces supérieures cachées

La croyance magique est centrale dans les rituels d’ordonnancement; les rituels de vérification et de lavage/décontamination comportent eux aussi une dimension magique mais de surcroit. Tous ces comportements  sont qualifiés de «superstitieux» par beaucoup de gens qui se disent sérieux et qui cependant ne se privent pas d’y recourir en cachette. Les rituels magiques sont une variante des stratégies qu’il utilise pour esquiver la confrontation relationnelle.

Ces types de rituels prolifèrent, se complexifient au fil du temps et finissent par envahir et invalider toute la vie du patient, comme ces plantes couvre sol capables de coloniser l’entière surface d’un jardin.

 Je distingue 6 façons pour un patient qui veut éviter des malheurs à ses proches de créer de l’ordre magique :

1.  ordre dans  l‘espace

- Antoine adolescent ne se couche jamais sans que tous les objets familiers de sa chambre et de sa salle de bain soient à une place assignée; sinon le lendemain il subira des conflits avec les élèves de sa classe ;

- Jérôme range son bureau en disposant ses livres et cahiers en parfait parallélisme avec les bords de son bureau et construit des piles de livres par dimension rigoureusement décroissante sinon son petit frère tombera malade dans les semaines à venir ;

2.  ordre dans le temps

- Francis organise ses journées avec le même déroulement à la minute près selon un ordre immuable écrit sur une fiche. Tous les soirs il téléphone à 20h30 à sa mère, à 20h45 à son père et à 21h à son frère. L’appel à chacun doit être identique, avec le même récit de la journée sinon il leur arrivera un malheur dans la nuit ;

3. ordre par ajout ou répétition

Le patient peut aussi complexifier les gestes ordinaires de la vie:

- Marie ne peut prendre un objet sans le poser et le lever au minimum 3 fois; elle fait le geste jusqu’à une vingtaine de fois, toujours en respirant profondément entre chaque levée de main sinon son compagnon la quittera ;

- Alan durant les cours au lycée ne peut tourner une page de classeur sans ajouter 10 petites croix au bas de la page qu’il vient de remplir; il ajoute de plus en plus de groupes de petites croix sinon ses parents auront un accident de voiture ;

- Johan répète son lever matinal plusieurs fois jusqu’à ce qu’il ait l’impression d’avoir bien posé son pied au sol et trouvé un bon enchainement de pas pour aller aux toilettes sinon la bonne entente avec ses parents et ses amis va se dégrader ;

4. par bifurcation de direction ou changement de tâche

Damien obéit à une injonction mentale lui intimant l’ordre de faire autre chose que ce qu’il a prévu de faire, par exemple il devra bifurquer vers le magasin de droite plutôt qu’aller dans le magasin de gauche; changer de chaine de télé sinon son frère s’alcoolisera et il fera une fugue ;

5. par annulation rétroactive

 Quentin efface le document informatique qu’il est en train de rédiger dans son bureau chaque fois qu’il entend un bruit désagréable venant de l’extérieur ou une critique proférée par son collègue ; il craint que si, à ce moment, il pense à un proche, celui-ci s’en trouvera affecté. L’annulation du document contaminé par le bruit ou la critique supprime ce risque ;

6. par perfectionnisme

Françoise enseignante travaille très tard le soir jusqu’à l’épuisement pour produire un document impeccable à distribuer le lendemain aux élèves sinon elle rencontrera des problèmes avec son inspecteur ;

7. par scénarisation

Charles intercale un scénario mi comportemental mi imaginaire pour transformer un contexte familial contrariant. Il imagine un scénario pour expulser un esprit mauvais venant ravir ses qualités et déverser ses défauts sinon « il pètera les plombs » en famille et son père aura un accident d’avion ;  

Chaque rituel d’ordonnancement sert à éviter que des malheurs arrivent aux proches

 ANALYSE FONCTIONNELLE DE LA CROYANCE MAGIQUE

Les rituels magique ont un sens profond

.

Je travaille avec une hypothèse forte: le TOC est une façon de détourner la combativité du patient et sa colère sur des cibles illusoires. C’est un habile stratagème mis en place par l’inconscient du patient pour éviter de se confronter aux autres sur de vrais problèmes. Le patient qui produit ces symptômes finit par oublier leur origine et ces symptômes évoluent en système autonome.

Ayant peur que son agressivité lui échappe, il se donne l’illusion de pouvoir éviter le mal en survérifiant, en surlavant ou surdécontaminant ou mieux encore en surjouant, c’est-à-dire en garantissant magiquement a priori et d’avance qu’il n’arrivera rien à ses proches.

L’état interne de  mauvaise hypnose

Il est important de remarquer que l’obsessionnel quand il pratique ses rituels magiques se met dans un état de transe qui présente des points communs avec l’hypnose commune. Cet état de transe est créé et entretenu par une dissociation avec le monde réel, par la répétition des actes, par la fixation sur des détails infimes, par des autosuggestions, procédés classiques utilisées pour entrer dans l’hypnose ordinaire mais utilisés ici de façon totalement contreproductive. C’est de l’hypnose négative comme l’appelle Araoz.

Cette hypnose est de la mauvaise hypnose : l’esprit est radicalement déconnecté du monde, rétréci , dominé par un mental stérile, prisonnier d’une idée fixe, immobile, infiltré par des fausses croyances. C’est tout le contraire de la bonne hypnose qui elle est souple, mobile, créative, nourrie par un imaginaire riche et fécond. Le patient agit de façon automatique, complètement aveugle à ses fonctionnements.

LES TECHNIQUES

Comment sortir les patients de leurs égarements? Je leur propose une thérapie de l’échappement.

Pouvoir échapper à ses rituels magiques, c’est d’abord pour le patient disposer de ressources qui lui permettent négativement de ne pas entrer dans cet état  interne de mauvaise hypnose qui  accompagne toute ritualisation et positivement de se maintenir dans le registre d’un plein éveil au contact du réel. C’est la référence (le but) que j’assigne au travail thérapeutique.

Les objectifs préliminaires

Ils se résument en 5 objectifs: aider le patient à

1. conscientiser le processus de ritualisation qui se manifeste dans la vie quotidienne par des comportements automatiques inconscients. Il conscientisera en particulier l’état interne sous jacent qui déclenche, accompagne et entretient la croyance ; il repèrera qui sont les déclencheurs des rituels dans la vie quotidienne, enfin, leur scénarisation détaillée…

2. explorer l’origine de sa croyance magique, non pas pour la juger et la bloquer mais pour la relativiser. Où va-t-il la chercher? Comment se manifeste-elle? A quoi lui-sert-elle?

Il déterminera en particulier s’il s’agit d’un  retour au stade du  fonctionnement participatif de la petite enfance étudié par Piaget (cf. H et PM, Colombo pp.311 et s.) d’une conviction née de l’observation de surprenantes coïncidences, de l’adoption des croyances familiales, sociales ou religieuses, ou de la création d’une variable d’ajustement à une vie difficile  ou enfin d’une intuition existentielle profonde.

3. préciser l’identité des forces occultes supposées agissantes. La technique du rituel solennel que je développe dans mes livres permet d’éclaircir le sujet.

4. repérer les inadéquations de fonctionnement de la ritualisation magique, c’est-à-dire constater combien les rituels  sont vains, inefficaces, contreproductifs, variables, et inappropriés et hors sujet (inadéquations que j’appelle dans mes derniers écrits  les VICVI). On observera plusieurs anomalies:

  • Le patient programme ses rituels en anticipant la totalité de la séquence d’ordonnancement magique qui ne manque pas alors de s’imposer;
  • il ne croit à la magie quand il est dans un état interne de mauvaise hypnose ; en dehors de cet état il garde un esprit rationnel ;
  • plus il ritualise, plus il complexifie ses rituels qui ne sont jamais suffisants pour produire une prévention définitive des risques;
  • son corps qui est en état de transe a perdu le contact avec la réalité; le mental a pris le dessus sur le sensoriel; il n’est jamais sûr de la rigueur qu’il revendique pour garantir l’efficacité de ses rituels;
  • la croyance magique prolifère sur la base d’un biais cognitif remarquable: elle est entretenue par le fait que le patient constate qu’il ne se passe jamaisrien de fâcheux et l’attribue à ses rituels; mais quand l’exception se produit, le patient opère un recadrage en décidant qu’il a mal réalisé les rituels!
  • bizarrement il oublie à certains moments le besoin de ritualiser, et loin de s’en inquiéter, il paraît s’en trouver soulagé; le patient n’est crédule que par intermittence.

Il découvre  progressivement à quoi lui sert sa croyance magique: il s’empare de toutes les opportunités de croire à la magie pour se rassurer a priori, et ainsi éviter toute confrontation avec les personnes qu’il veut soi-disant protéger.

Bref, le patient relativise sa croyance par ces prises de conscience. Mais c’est quand il n’en aura plus besoin que la croyance magique disparaitra complètement. Je résume :

Je propose au patient de mettre en place une démarche d’échappement au rituel. La référence à suivre, c’est qu’il n’entre pas dans son état de transe ou qu’il en sorte au plus vite à la première alerte et qu’il demeure dans un état d’éveil au contact du réel en poursuivant l’activité en cours sans l’interrompre ou en la reprenant mais sans ritualisation.

Mais pour y parvenir, le patient a besoin de mobiliser des ressources. Il faut qu’il puisse répéter comme des mantras : «ce n’est pas par cette ritualisation magique que je peux aider mes proches à qui je veux éviter des malheur»,  «mes craintes ne portent pas sur le bon sujet » « je m’inquiète pour rien »

7. L’hypnose est une ressource essentielle.

- elle facilite les dissociations (dissociation avec l’état interne perturbé de mauvaise hypnose, échappement aux rituels, dissociation des parties de soi) et les associations  (réassociation avec la totalité de la personnalité, association féconde avec des métaphores, des symboles et des mythes);

- elle permet une régression vers le passé, pour un travail d’exploration des origines de la croyance et de réempreinte;

- elle obtient des changements par la suggestion: favorise l’installation de nouveaux comportements.

Les techniques pour réduire les rituels

Une  technique d’accompagnement durant toute la cure

- Je prescris la pratique quotidienne de la respiration cardiaque qui grâce à la cohérence cardiaque installe un état de détente/sérénité/lucidité  destressant; je conseille aussi un sommeil régulier et suffisant pour ne pas laisser s’installer la fatigue; stress et fatigue aggravent tous les rituels.

Trois techniques préalables

- Je préconise le dialogue des parties de soi (la partie rationnelle et la partie croyante) pour explorer la nature de la croyance;

-Je propose la métaphore de la bifurcation du chemin qui visualise l’alternative : ou prendre le chemin de la ritualisation, ou poursuivre l’activité en cours;

- J’intercale en séance dans son état perturbé une séquence de bonne hypnose  qui éloigne le patient de son vécu interne : c’est la technique de dissociation des états ; le patient est très surpris de pouvoir vivre autre chose. Cette expérience lui donne espoir.

La technique de base pour anticiper l’échappement à la ritualisation

J’utilise la technique de la respiration cardiaque,  non seulement pour obtenir un effet de détente mais pour produire un effet d’anticipation. Je propose au patient de terminer la séquence de respiration cardiaque - qu’il doit pratiquer tous les jours durant 5mn - par une suggestion post hypnotique:

-soit d’échappement au rituel si le patient ne l’a  pas encore pratiqué et a su repérer son arrivée ;

Il devra se mette en pause juste aux premiers signes d’apparition du rituel; comme tout va très vite en automatisme, il installera un système d’alerte pour qu’il ne s’engage pas dans la ritualisation;

Pour ne pas sombrer dans l’état interne négatif ni entrer dans la ritualisation, il restera en éveil accroché à l’action concrète en cours ;

-soit son annulation si le patient est pris de vitesse

Si la ritualisation échappe au patient, et n’en prend conscience que lorsqu’il l’a achevée (difficile de l’arrêter en cours de route), je préconise alors la technique du retour en arrière et de la remise du compteur à zéro : je choisis de me lever une seule fois, j’élimine les ajouts d’action, je prends le chemin choisi au départ, je  reconstitue le dossier effacé, j’annule la bifurcation, j’annule l’annulation de mon acte (mais pas dans un esprit de sabotage);

Dans tous les cas, la non entrée dans le rituel ou son annulation fragilise la croyance magique et rend la contrainte moins impérieuse;

Les techniques de régression sur l’axe du temps

- Parallèlement à ces séquences d’anticipation de l’échappement, je prépose d’utiliser la technique de  Robert Dilts de remontée selon l’axe du temps à un moment où la croyance n’existait pas et d’effectuer une réempreinte du passé en imaginant quelle aurait été la vie du patient si les protagonistes de son enfance avaient agi différemment de ce qu’ils ont fait,  et plus précisément, ce qu’il aurait fallu que le patient vive pour qu’il n’ait pas besoin de faire appel à la croyance magique utilisée alors comme une variable d’ajustement aux difficultés de la vie;

Les techniques parallèles d’affirmation de soi

L’abandon des rituels magiques ne peut se faire que lorsque le patient a élucidé et maitrisé ses fonctionnements et s’est engagé frontalement dans la vie réelle. C’est alors que les vrais problèmes de fond apparaissent. Etant pris en compte, ils rendent la ritualisation magique inutile : c’est le meilleur moyen d’affaiblir et même d’abandonner une croyance. Cela passe souvent par une réorganisation des relations directes avec les tiers que précisément le patient veut épargner ou  protéger  à distance par la magie.

REFLEXIONS SUR LA CROYANCE MAGIQUE

Le traitement des rituels magiques a levé chez moi plusieurs questions concernant la croyance magique et les pouvoirs de l’hypnose. Je vous les livre.

La faillite de la ritualisation magique chez le patient obsessionnel

On reconnait à l’hypnose le pouvoir de favoriser les suggestions sur la personnalité ou sur le corps du patient. En thérapie,  le fait de croire qu’un changement peut s’opérer dans la personnalité (transformation) ou dans le corps (transduction selon Rossi)  joue un rôle important. La suggestion ou l’autosuggestion sont expliquées scientifiquement comme des injonctions qui créent en même temps qu’un objectif une docilité pour que ce qui est suggéré ou ce que l’on se suggère advienne. Dans l’hypnose dite médicale et thérapeutique, les mécanismes de réalisation ne sont pas toujours connus mais sont supposés agir dans le respect des lois de la science.

Mais le problème se pose quand l’objectif est transpersonnel (transgression selon Grof). C’est l’exploit que le patient qui pratique les rituels magiques prétend obtenir. Alan croit qu’en écrivant un groupe de 10 petites croix en bas de la page de son classeur, il empêchera ses parents qui partent en voyage le lendemain de subir un accident sur la route et qu’en ritualisant, il  les protégera.

 Plusieurs difficultés apparaissent.

D’abord je rappelle que le patient utilise  une mauvaise hypnose chèrement payée. Sa façon de procéder est contreproductive: elle entraine toujours plus de répétitions, de complications et de rigidité dans sa vie.

Ensuite cette forme d’hypnose implique des croyances magiques refusées  par la science.  Les effets sur le futur que le patient revendique et qu’il croit constater sont des illusions baseés sur des biais cognitifs et ne sont pas prouvés.

On peut remarquer à ce propos que le patient, se leurre souvent lui-même: il ne se rend pas compte que parallèlement à sa ritualisation, il influence inconsciemment l’entourage soit par des conseils prodigués en direct soit par des attitudes tenues en présentiel. Par ailleurs comme shooté par sa croyance magique, le patient est capable de se surpasser pour convaincre ses proches de faire preuve de plus prudence dans leur vie ou pour réaliser des exploits surprenants pour lui-même. Ces changements entretiennent l’illusion de l’efficacité de ses rituels.  

La mise en œuvre de la croyance magique du ritualisant ordonnateur ne tient pas la route et détruit sa vie. Si je pense ainsi, je vais donc devoir traiter le TOC comme un symptôme névrotique dont il faut débarrasser le patient au plus vite. Le protocole est clair: pour libérer le patient du TOC, je chercherai en priorité à fragiliser et neutraliser la croyance magique irrationnelle qui le nourrit.

J’ai préconisé l’échappement à cette mauvaise hypnose par  l’utilisation d’une bonne hypnose pour dissocier les symptômes, réassocier sa personnalité avec sa sensorialité et sa combativité, féconder le changement par des métaphores, régresser dans le passé pour jauger les croyances et exposer le patient à des suggestions positives stimulantes, le tout dans un esprit de rationalité.

Oui, mais …une question de fond se trouve esquivée qui  resurgit à la faveur de l’émergence de certains malaises.

Malaises

Malaise personnel. Je suis mal à l’aise devant la persistance de l’intense et tranquille conviction de certains patients concernant ce pouvoir surtout lorsqu’elle prend une dimension métaphysique.  J’ai quelquefois l’impression de manquer de respect pour les patients quand je leur suggère d’abandonner leur  croyance magique pour échapper aux TOC et de les priver dans leur vie de quelque chose d’important.

Malaise sociologique. Pourquoi donc la croyance magique sous sa forme religieuse persiste-t-elle alors que l’existence des divinités parait si peu crédible dans une société scientifique avancée? D’où vient cette résistance? La croyance semble renaitre sans cesse de ses cendres. Y aurait-il une vérité cachée ?

Malaise scientifique. La physique quantique depuis un siècle remet en cause les lois de la physique newtonienne. Elle reconnait en particulier l’intrication des particules élémentaires, phénomène jugé au 19ème siècle totalement impensable. Si les limites de la rationalité sont floues dans les sciences physiques, il est peut-être imprudent de vouloir les fixer de façon définitive dans les sciences humaines.

Malaise clinique. L’hypnose est-elle si rationnelle que cela?

En pratiquant ses rituels, l’ordonnateur magicien cherche à manipuler l’avenir pour protéger ses proches  d’un malheur qui pourrait leur arriver et dont il pourrait se sentir responsable. Ce n’est pas lui-même qui est visé mais des tiers et dans l’avenir. Il y a un gap. C’est cette transgression spatio-temporelle qui ne  pose pas  problème au patient qu’il faut interroger

Essayons de dépasser un point de vue thérapeutique strictement pragmatique pour continuer à réfléchir. Posons-nous des questions de fond qui élargissent le débat.

Première question: Est-il raisonnable d’espérer quelque chose de positif d’une croyance irrationnelle?

 Deuxième question: est-ce que l’hypnose qui prétend obtenir des effets les obtient par des procédés strictement rationnels?

La rationalité de l’hypnose

Quand on consulte l’excellent recueil d‘articles coordonné par Edouard Collot Hypnose et pensée magique paru en 2008 aux Editions Imago, j’observe deux groupes d’hypnothérapeutes : ceux qui, arrimés à une stricte rationalité, cherchent à expliquer scientifiquement  les phénomènes hypnotiques par la suggestion, le contexte, le jeu, la relation, le psychisme archaïque,  la physiologie, l’analogie, les champs,  les fractales… et ceux qui sensibles à l’état interne du patient et du thérapeute voient dans l’hypnose une conscience élargie ouvrant à des phénomènes imprévus, inexpliqués. Ces auteurs hésitent à utiliser le terme de croyance magique tellement le terme de « magie » est connotée négativement. Ils préfèrent parler d’influence, de courant d’énergie, d’élan vital… Ils laissent souvent  entendre que la suggestion est loin de pouvoir expliquer tout ce que l’hypnose obtient et plus important encore ils pointent parfois  que la suggestion est un terme deus ex machina qui mériterait lui-même d’être expliqué.

Magie et irrationalité

Je suis tombé sur un texte provoquant écrit par JUNG dans Le Livre rouge mais qui  peut faire avancer le débat. Il s’agit d’un livre de rêveries vécues par l’auteur dans les années 1920. Dans le chapitre Le magicien, Jung explique: « On ne peut pas comprendre la magie. On ne peut comprendre que ce qui est conforme à la raison»…«Tout ce qui produit un effet magique est incompréhensible et l’incompréhensible produit souvent un effet magique»…« Lorsque l’on ouvre les vannes du chaos, la magie se manifeste …» «On ne peut pas dire de quelle nature sera l’effet magique car personne ne peut le savoir à l’avance, car magique est ce qui n’obéit à aucune loi, ce qui se produit en dehors de toute règle pour ainsi dire par hasard». Je conseille de lire  trois pages lumineuses sur le thème du pouvoir magique dont ces quelques phares forment un condensé.  La lecture de ces pages crée d’ailleurs sur le lecteur un effet très particulier.

Si on accepte la vision de Jung, l’irrationalité prend un sens nouveau. C’est lorsqu’on accepte de ne pas comprendre (de « perdre connaissance»), qu’on se dissocie de la rationalité, que du possible se creuse dans l’impossible et que le chaos s’ordonne pour reconfigurer la vie au delà des frontière personnelles. L’irrationalité loin d’être un obstacle devient alors le portail par lequel des changements s’opèrent dans la personnalité, le corps, les autres, le monde. On change de paradigme  pour penser l’hypnose. On a une clef pour saisir ce qui se passe.

Dans ces conditions il ne s’agit plus d’être le technicien du changement en cherchant à le comprendre pour mieux le contrôler mais de respecter l’incompréhension pour permettre que du possible se crée. L’hypnose est une invitation au lâcher prise. L’hypnose peut être perçue comme un contexte « magicien » permettant à l’impossible que l’on ne comprend pas d’advenir. L’hypnose déverrouile l’impossible. L’approche de Rossi va dans ce sens.

Les conditions du changement magique

Quelles sont les conditions pour que ce type de changement se manifeste. Dans l’introduction à son recueil d’articles, Collot ne craint pas d’utiliser le terme de « magie ». Quelles sont les conditions pour que cette forme d’influence a-causale s’exerce, bref – osons le terme - pour que la magie opère ? On n’explique pas ce phénomène mais on peut créer ses conditions d’apparition.

1. Il faut un acte de  croyance fort pour que ce type d’influence se produise. Remarquons que  nombreux sont les thérapeutes qui commencent leur carrière en techniciens stricts et finissent par reconnaitre l’importance à la croyance. Ce peut être la croyance au minimum dans le pouvoir de la suggestion ou au maximum dans la puissance de  l’irrationnel. Les hypnothérapeutes rencontrent sans cesse la croyance au changement.

Mais précisons tout de suite que le croyant magicien doit  adhérer à la croyance magique en la traitant non comme un savoir avéré mais  comme  une hypothèse ou une vision qui restent soumises au doute. Mais on peut choisir d’y adhérer  comme on adhère à une pièce de théatre dans laquelle on s’immerge. « Je me mets dedans » peut dire le croyant, tout en sachant qu’il fait le choix d’un engagement dans un « comme si » .  

J’apporte une autre précision. La croyance magique- c’est-à-dire la croyance dans le pouvoir de l’irrationnel telle que Jung la définit -  est importante d’abord en tant qu’acte subjectif quel que soit le contenu qui l’accompagne. Ce point est rarement souligné. Patient et thérapeute, communiant dans l’attente du changement, entrent dans l’acte de croire que des changements irrationnels peuvent se produire. C’est la croyance fondamentale. Ils se disent: «Le changement est possible d’autant plus qu’il  nous  parait  impossible, que nous ne le comprenons pas, que nous le maitrisons pas, mais que  nous le laissons advenir… Nous acceptons sereinement cette posture en sachant qu’elle repose sur une hypothèse à laquelle nous faisons le choix d’adhérer ».

La croyance magique peut être perçue comme une  opération psychique qui permet d’entrer dans un autre ordre que l’ordre de la perception/action du quotidien, ordre régi par les contraintes de l’espace/temps/ causalité. Tout se passe alors comme si l’acte de croire par l’anticipation présentifié d’un changement espéré créait  de l’ubiquité, de l’immédiateté, de l’instantanéité, une con-fusion entre parole et acte, bref  faisait entrer  thérapeute et patient dans un autre état de conscience et leur faisait appréhender le monde autrement .

C’est cette expérience exceptionnelle que l’hypnose fait vivre au patient et au thérapeute. C’est cela que les thérapeutes visent quand ils parlent de conscience élargie, conscience qui croise la conscience caractérisant  «la vie spirituelle».

-Comment s’accorde  l’influence se développant dans ce type d’hypnose et le déterminisme de la réalité? Schopenhauer, s’inspirant de Leibniz avait déjà expliqué que le monde évolue selon deux logiques une logique déterministe et une logique de sens  dont l’accordage nous échappe Un même évènement obéirait à une logique déterministe et à une logique de sens plus profonde, plus universelle.

Sans doute le hasard joue-t-il un rôle important dans cet accordage. L’influence par le jeu du hasard permettrait de respecter les déterminismes. On peut dire alors que l’action magique augmente la probabilité d’apparition des évènements souhaités dans le strict respect des lois de la nature…

2) Si l’acte de croire  est important, le croyant a souvent besoin de faire appel à des croyances  adjuvantes - pour étayer et renforcer sa croyance magique. Il n’est pas facile de croire « à froid » dans la puissance de l’irrationnel. Le croyant magicien a souvent besoin d’invoquer  une divinité, un sage, un défunt, un esprit de la nature.  Les mythes, la philosophie, les symboles, l’expérience du beau, de l’amour, de la justice, du sublime nourrissent également la croyance. L’observation des coïncidences joue enfin un rôle. Ces croyances adjuvantes  induisent, amorcent et soutiennent l’acte de croire en l’irrationnel. Le croyant a besoin de s’appuyer sur les adjuvants que notre histoire a sacralisés et chargés  de puissance mais il le fait en pleine lucidité, sans jamais confondre la croyance et le savoir.

L’acte de croire n’est pas qu’un acte cognitif. Il implique l’émotion et l’imaginaire,  il affecte l’état de conscience. De ce point de vue, les religions avec ses cathédrales, ses cantates et ses pompes sont des dispositifs adjuvants super efficaces pour entretenir un état qu’elles nomment « mystique» et  soutenir la croyance au miracle.

3) Cette approche pourrait mieux faire comprendre ce qu’est la suggestion. On ne peut se contenter de la définir seulement que comme «une injonction  suscitant une adhésion». Ses ressorts sont plus profonds. On suggère ce qu’on ne peut obtenir par la voie déterministe. La suggestion contient  les préliminaires d’une expérience magique fondamentale.

4) Si l’on veut mobiliser cette forme d’influence, il n’est pas recommandé de se mettre en tir tendu pour chercher à obtenir quelque chose, car ce serait se mettre dans un esprit technoscientifique, attitude contraire à l’attitude que préconise Jung. Il est préférable d’attendre que ce qui est espéré se produise. On peut alors déposer une intention c’est-à-dire une espérance en la confiant à l’inconscient profond comme on jette une bouteille à la mer et en laissant les choses advenir. On découvrira ce qui vient, quand ça vient et comment ça vient, dans l’après coup de ce qui sera arrivé. Ce qui arrive, on ne saura pas et on ne cherchera pas l’expliquer. Il sera même impossible de prouver que ce pouvoir magique- qui sait se protéger - existe.

Conclusion

Je donne alors un avis personnel. Je pense qu’on a tout à gagner de continuer de croire en la possibilité de cette forme d’influence. C’est le Moi Profond (le Soi) et non le moi superficiel du quotidien qui  doit être le porteur de la croyance. Cette croyance rejoint le pari de Pascal. De cette posture découle toute une sagesse de vie marquée par une disponibilité à l’imaginaire et  l’ouverture au possible.

Cela n’exclut pas de passer de longues séquences de vie dans  une posture technoscientifique. C’est la règle du jeu de la vie. Les deux postures ne s’excluent pas. Elles alternent. Jung recommande simplement de ne pas les mêler.

Retour sur les rituels magiques 

Revenons à aux rituels magiques,  ils ne sont vraiment pas recommandables.

-d’abord ce sont des bricolages mal ficelés; de plus en plus envahissants, ils paralysent la vie des patients;

- Je concède que certains patients ordonnateurs magiciens s’approchent de l’intuition de Jung. Soit. Mais ils s’y prennent très mal. Il est contradictoire que le patient puisse obtenir un effet magique par un tir aussi tendu et dans un mental aussi fermé avec une hypnose aussi dégradée. On est aux antipodes de ce que le  psychanalyste suisse préconisait.

Avec les patient ordonnateurs magiciens, dans un premier temps, il faut traiter la croyance magique comme un embarras dont il est prudent de se défaire. Ce n’est que plus tard, lorsque le patient aura pris du recul par rapport à ses TOC, qu’il  pourra accéder- sans risque de récupération et de recyclage névrotique - à  la saine croyance préconisée par Jung.

On peut dire au patient magicien : «Votre intention première est louable mais vous ne vous y prenez pas très bien pour la réaliser; commencez par arrêter vos bricolages et lâchez vos simagrées. C’est vous qui créer et entretenez vos craintes qui sont fondées sur du Rien. Si vous voulez protéger vos proches, OK! Rencontrez les, parlez-leur, agissez avec eux à leur contact ! En même temps vous pouvez toujours déposez une  intention bénéfique et inspirante,  l’esprit détendu, dans une  conscience profonde et silencieuse ».

Je m’en tiens à cette recommandation

Claude MICHEL

Contact :

Contact : claumi61@gmail.com

Bibliographie

Du même auteur :

 Claude MICHEL (2017), La psychothérapie des obsessionnels compulsifs, L’hypnose entre science et magie, tome 2, Paris, L’Harmattan

Claude MICHEL (2018), L’hypnose pour effacer les TOC, 13 techniques de base, Bruxelles, Satas

Claude MICHEL (2024), L’hypnose un outil privilégié pour traiter les TOC, à paraitre chez Dunod en octobre 2024  dans Le grand livre de L’hypnose (sous la direction d’Evelyne Josse)

Ouvrages cités

Edouard COLLOT (2008) (sous la direction de),  Hypnose et pensée magique, Paris, Imago (abrév.: H etPM)

Robert DILTS (1990), Changer les systèmes de croyances avec la PNL, Paris,  Inter Editions Didier

StanislasGROF (1984), Psychologie transpersonnelle, Monaco, Edition du Rocher

C.G. JUNG (2012),  Le livre rouge, Paris, L’iconoclaste

Didier MICHAUX (1995)  (sous la direction de), La transe et l’hypnose, Paris, Imago

Didier MICHAUX (2006)  (sous la direction de), Hypnose et dissociation psychique, Paris Imago


Date de création : 06/06/2024 @ 14:34
Catégorie : - Les articles
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